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Le non-effort est le cinquième pilier de la pleine conscience après la confiance en soi et c’est sans doute celui qui, en tant qu’occidentaux, nous place face à l’un des plus grands paradoxes de la pratique.

Qu’est-ce que le non-effort ?

Pour bien comprendre cette notion il faut d’abord savoir que le terme maladroitement traduit par “pleine conscience” est “sati” qui, dans la langue pali de Siddhartha Gautama, dit le Bouddha, signifie “attention juste” ou “attention nue”. Sati n’est pas de l’ordre de l’intellect, forcément subjectif, et qui se perd dans des rêveries, des anticipations ou des ruminations illusoires.

Il s’agit plutôt de ressentir le corps-esprit à chaque instant. Sati, c’est l’attention sans jugement, d’instant en instant, à tout ce qui émerge du corps-esprit dans la conscience, au moment présent. Il serait donc plus approprié de parler de méditation de pleine attention plutôt que de pleine conscience. Et c’est ce que je vais faire jusqu’à la fin de ce texte dans le but de clarifier ces notions clefs.

Tout le paradoxe de sati c’est que la pratique de l’attention sans jugement, qui laisse supposer – puisque c’est une pratique – qu’il y a quelque chose à FAIRE, nous conduit en réalité à produire un effort radical de non-effort. 😀 En effet, le pouvoir de transformation et de guérison – qui amène beaucoup d’entre nous à la pratique de la méditation de pleine attention – n’a finalement que peu de choses à voir avec quelque chose à FAIRE de façon consciente.

Contrairement à la plupart de nos activités, qui s’inscrivent dans un objectif à atteindre, la méditation de pleine attention se déploie dans le non-effort : c’est-à-dire dans la simple attention à ce qui est. Il n’y a ni saisie, ni rejet face au changement. Il ne s’agit pas non plus de chercher à changer quoi que ce soit ou à obtenir un résultat. Il s’agit plutôt de nous placer nous-mêmes intentionnellement dans la position de NE RIEN FAIRE afin que les choses prennent soin d’elles-mêmes. 😉

Le sanskrit a été l’une des grandes langues de l’Asie, parlée essentiellement en Inde. Dans cette langue qui remonte au moins au XIVème siècle avant JC, le terme utilisé pour parler de méditation est “bhavana” qui signifie littéralement développement, cultiver ou produire dans le sens d’appeler à l’existence. Ce mot apparaît normalement accolé à un autre mot mais lorsqu’il est utilisé seul il signifie généralement “contemplation” ou “cultiver l’esprit”.

Comparer la méditation à la culture d’un jardin peut d’ailleurs être une image aidante : cette activité, très appréciée par nombre d’entre nous, demande une certaine dose de planification, de soins et d’efforts afin de créer un ensemble de circonstances favorables pour que le jardin prospère. Pourtant, tout ce qui se trouve dans le jardin pousse jour et nuit sans que nous n’ayons RIEN À FAIRE. Il suffit simplement d’être attentif à ce qui est présent. N’est-ce pas? 🙂

Cultiver le non-effort, c’est prévoir de ne rien faire

Dans le cas de la méditation de pleine attention, nous créons chaque jour les circonstances favorables en prévoyant un lieu, un moment et un support pour NE RIEN FAIRE de productif, d’agréable ou de divertissant.

Si nous pratiquons par exemple de façon dite “formelle”, il s’agira juste de se poser dans l’immobilité, assis sur un coussin, un banc de méditation ou une chaise. Juste présent à ce qui est là pour nous à cet instant. Notre esprit continuera, à notre insu et par tous les moyens, de générer des attentes et des motifs de satisfaction ou d’insatisfaction vis-à-vis de cette pratique, de se distraire ou de chercher à être productif. Il cherchera à FAIRE quelque chose pour exister.

Pendant les premiers mois de pratique, il créera beaucoup d’agitation intérieure à laquelle il suffira simplement d’être attentif, sans chercher à modifier quoi que ce soit, sans rien saisir ni rien rejeter. Et chaque fois que nous prendrons conscience que nous nous sommes laissés embarquer dans un train de pensées, qui nous emmène loin du quai de l’instant présent, nous ramèneront doucement notre attention ici et maintenant en re-connectant, par exemple, avec la sensation du souffle qui entre et qui sort de nos narines.

Le paradoxe du non-effort c’est que nous voudrions être responsables des bienfaits de la méditation sur le corps et l’esprit. Nous voudrions que notre méditation soit bien faite parce que nous avons FAIT quelque chose dans ce sens. Il nous est généralement difficile de nous tenir dans une position où nous n’avons rien à faire de productif, de divertissant ou de plaisant alors nous voulons que notre méditation soit productive, divertissante et plaisante.

Et si nous avons le sentiment que notre méditation était une expérience agréable ou que nous ressentons certains bienfaits – ce qui est TRÈS souvent l’un des premiers feedbacks donnés après une pratique – nous nous sentons comblés, accomplis et satisfaits. Mais si nous n’aimons pas l’expérience et ses résultats, nous nous crispons en essayant encore plus dur, nous nous mésestimons de n’avoir pas réussi à bien méditer ou nous abandonnons face aux frustrations de n’avoir pas su comment faire.

FAIRE, FAIRE toujours et encore FAIRE…

Nous avons tellement de mal à croire qu’il suffise d’ÊTRE assis. Simplement ÊTRE là, présent à soi-même, attentif à ce qui est. Cela semble manquer de substance, de concret.

Surgit alors la question qui semble toute naturelle : comment FAIT-ON cela ? Comment fait-on pour simplement rester assis là, à méditer ?

“C’est impossible, affirmeront certains, j’ai besoin de bouger, de me sentir utile, de faire quelque chose”. Et j’entends d’ici les protestataires me dire : “Jean-Marc, tu parles de ne rien faire mais qu’en est-il du fait de suivre sa respiration ou de se focaliser sur un objet d’attention, n’est-ce pas faire quelque chose ? Et qu’en est-il de toutes ces techniques de méditation qu’on nous enseigne et qui semblent nous aider ? Méditer c’est donc bien faire quelque chose”?

Ma réponse est simple : les techniques sont des leurres destinés à contrebalancer la tendance naturelle de l’esprit à rechercher la productivité, le divertissement ou la satisfaction, même lorsque nous avons pourtant décider de ne pas saisir ou rejeter la moindre de nos pensées.

Les techniques proposent des objets d’attention qui donnent un “os à ronger” à l’esprit du pratiquant, jusqu’à ce que celui-ci soit suffisamment aguerri pour pratiquer sans aucun objet d’attention. On peut aussi considérer que les techniques diminuent votre “niveau de faire” tout simplement parce que, par exemple, suivre attentivement votre respiration ou répéter un mantra implique bien moins d’activité mentale que planifier vos prochaines vacances. 😉

Le non-effort, c’est “faire un bon travail” en ne faisant presque rien

Comme dans un potager, l’utilisation d’outils favorise les circonstances de culture du jardin de votre corps-esprit. En essence, le seul fait de porter une attention sans jugement à ce qui est, suffit pour que les choses prennent soin d’elles-mêmes. Mais le “mode faire” sur lequel nous sommes quasi en permanence s’affole à cette seule idée d’être “attentif à rien”. Alors, en pratique, les leurres – les objets d’attention – permettent au pratiquant de faire un bon travail en ne faisant presque rien ou plutôt en diminuant drastiquement le niveau d’activité et d’agitation habituel du mental.

En bref, avec la technique, l’esprit se focalise sur une tâche simple et répétitive qui laisse une large place au déploiement de l’attention.

En définitive, la plupart des phénomènes qui se produisent dans le jardin et dans la Vie échappent à notre contrôle et à tout ce que nous pouvons faire. Les végétaux poussent d’eux-mêmes. Notre corps se régénère de lui-même à chaque instant. Les saisons passent sans aucun effort direct et conscient de notre part.

Bien-sûr, nous pouvons avoir une certaine influence, par exemple sur le climat, mais l’essentiel des phénomènes qui se produisent dans l’Univers échappent totalement à notre contrôle. Il en est pour ainsi dire de même pour notre être – constitué de notre corps-esprit – qui a sa propre façon de se réorienter si seulement nous le laissons être.

N’est-ce pas fantastique ? Vous n’avez en définitive absolument rien à faire si ce n’est de passer régulièrement du temps à ne rien faire, à ne rien agir, à ne faire aucun effort si ce n’est celui d’être attentif à ce qui est.

Avec le temps et la pratique régulière, un mouvement naturel prend place de lui même, en direction de ce qu’il y a de meilleur pour chacun de nous. Cela ne signifie pas de ne plus rien planifier du tout, mais plutôt de rester ouvert et flexible et de sentir lorsque nous essayons de faire les choses à tout prix, de forcer la naissance du papillon en déchirant sa chrysalide.

Autrement dit, le non-effort consiste à ne pas chercher à nous rendre ailleurs que là où nous sommes car il n’y a en réalité rien à faire, rien à atteindre et nulle part où aller.

Au final, pratiquer la méditation n’a aucun autre but que d’être simplement soi-même. Cela nécessite de renoncer à réaliser une performance, à produire quelque chose d’agréable ou à rechercher un état particulier. Cela consiste à ÊTRE attentif plutôt qu’à FAIRE ou AVOIR.

À demain pour le sixième pilier : l’acceptation et la pleine conscience.

 

Jean-Marc Terrel
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