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Le lien entre la créativité et la pleine conscience ne paraît pas forcément évident.

Grâce à l’immense impact du MBSR dans le domaine de la santé, beaucoup de gens découvrent plutôt la méditation pleine conscience dans une perspective liée au mieux-être, à la gestion du stress et des émotions. La pratique est en effet reconnue pour ses effets bénéfiques sur les facteurs de stress de la vie quotidienne.

Méditer régulièrement peut contribuer à la réduction de la pression sanguine, améliorer la qualité du sommeil et diminuer la fréquence et la sévérité des symptômes des maladies mentales comme la dépression.

Mais il y a plus : la méditation calme le mental et un esprit apaisé est plus enclin à générer de meilleures idées face aux défis de la vie personnelle et du travail. Les chercheurs ont ainsi constaté un immense impact de la pleine conscience sur la créativité.

Créativité et mode de penser

L’application du principe du non-jugement, au cœur de la pratique de la méditation pleine conscience, ne favoriserait pas la pensée convergente, ce “mode de fonctionnement structuré” qui consiste à générer une seule solution possible pour un seul problème particulier.

La pratique induirait plutôt un état qui soutient la pensée divergente, sans censure, c’est-à-dire un “mode de pensée improvisateur” permettant à de nombreuses nouvelles idées d’émerger.

Méditer en pleine conscience serait ainsi un terreau fertile pour les idées novatrices.

Une étude a même montré que la pratique réduit la rigidité cognitive : au cours de l’expérience, six tâches étaient données. Les trois premières appelaient des méthodes complexes et les trois suivantes des solutions de plus en plus simples. Les non-méditants continuaient d’appliquer des approches complexes à des problèmes simples et avaient plus tendance à être frustrés. Les méditants étaient plus à même de déceler que les derniers problèmes pouvaient être résolus en utilisant des étapes plus simples.

Ceci étant dit, il n’en reste pas moins que l’équilibre entre les modes divergent et convergent est très important, exactement comme l’est, dans le jazz, la complémentarité entre la structure musicale et l’improvisation. C’est le bon dosage entre, d’une part, le respect de la structure du thème, de sa mélodie et de sa trame et, d’autre part, l’inspiration personnelle qui produit l’expression créative unique du musicien avec son ensemble.

Mon propos consiste à souligner ici le fait que la créativité est le fruit d’un équilibre subtil entre l’acceptation des contraintes liées à un contexte et la liberté créative prise au sein de ces contraintes. Nous avons indiscutablement besoin des deux faces de la pièce : un manque total de liberté est tout autant préjudiciable qu’un manque total de contraintes.

Et la pratique de la pleine conscience est une clef pour trouver cet équilibre fécond d’où peut jaillir l’inventivité nécessaire à la résolution de problèmes simples ou complexes. Albert Einstein aurait pu résumer l’importance de cet équilibre ainsi : “les ordinateurs sont incroyablement rapides, précis et stupides ; les hommes sont incroyablement lents, approximatifs et brillants ; ensemble ils sont puissants au-delà de ce que l’on peut imaginer”.

La pleine conscience dans le processus créatif

Certains spécialistes estiment que le cerveau dispose de deux modes de fonctionnement : dans son livre “Intelligence du lièvre, cerveau de tortue, pourquoi l’intelligence s’accroît quand on pense moins” ?, Guy Claxton les nomment pensée rapide et pensée lente.

La pensée rapide est rationnelle, analytique, linéaire et logique. Elle opère quand nous agissons sous pression, quand nous avons peu de temps. Elle fournit des solutions claires à des problèmes bien définis. D’un autre côté, la pensée lente est intuitive, primitive et créative. Elle entre en jeu quand toute pression a disparu et que nous avons le temps de laisser les idées en veilleuse émerger à leur rythme.

On sait aujourd’hui que le fait de garder notre esprit occupé en permanence équivaut à un gaspillage de nos plus précieuses ressources. C’est vrai, notre cerveau peut faire des merveilles sous pression et dans l’urgence. Mais il en accomplira tellement de plus importantes si on lui donne de temps à autre le loisir de se détendre. C’est, encore une fois, une question d’équilibre.

Si on compare notre cerveau à un orchestre de jazz, celui-ci fonctionne avec différentes sections ou pupitres d’instruments. Dans un big band il y a le pupitres des instruments à anches, celui des trombones, celui des trompettes et la section rythmique. Toutes ces sections jouent de façon complémentaire, synchrone, à différents moments du morceau afin de produire un résultat harmonieux : si un pupitre joue en décalage, trop fort, trop rapide ou de façon désaccordée, le résultat global sera déséquilibré.

Et il en est de même pour notre fonctionnement cérébral : la clé pour optimiser notre capacité créative consiste à équilibrer les différentes réseaux du cerveau. Selon Crystal Goh, chercheuse en neurosciences, 4 étapes sont ainsi utiles dans le processus créatif : la préparation, l’incubation, l’illumination et l’affinage.

I. La préparation :

La recherche a montré que nous pensons de façon plus créative lorsque nous sommes calmes, tranquilles et détendus, alors que la pression nous met comme “des œillères”. D’ailleurs, certains des plus grands penseurs de l’histoire connaissaient assurément les vertus de ce changement de vitesse cérébral : Charles Darwin se définissait lui-même comme un “penseur lent”. Le très célèbre et pertinent détective Sherlock Holmes, évalue les preuves d’un crime en entrant dans un état quasi méditatif avec, selon son créateur Arthur Conan Doyle, “une expression vide dans les yeux”. Albert Einstein était aussi connu pour passer des heures dans son bureau de l’université de Princeton, les yeux collés au plafond…

Comme pour un scientifique ou un auteur, il n’y a pas d’improvisation créative du soliste de jazz sans une solide préparation. Alors, certes, la méditation pleine conscience stimule la pensée divergente, mais pour générer un large éventail d’idées en utilisant une pensée divergente, il vous faut apaiser votre réseau neuronal de contrôle cognitif, ce qui permet à votre réseau du mode par défaut – le système de réalité virtuelle du cerveau – de fonctionner plus librement.

Cette partie implique beaucoup d’apprentissage : c’est le moment de recueillir des informations, d’utiliser votre imagination et de ne pas être trop rigide sur l’aspect désordonné et aléatoire de cet étape.

Essayez de méditer avant vos séances de réflexion et de brainstorming afin que vous soyez moins distrait, entièrement concentré et capable de produire des idées initiales de meilleure qualité.

II. L’incubation :

La pleine conscience est particulièrement utile pour cette phase importante et souvent négligée. Beaucoup de gens ont du mal à rester en mode déconnexion, à ne rien faire et à cesser d’être obsédés. Même une courte méditation de pleine conscience peut calmer vos pensées distrayantes, réduire l’anxiété ou le stress et vous aider à entrer dans un état de réelle ouverture. Peut-être même que votre excellente idée apparaîtra pendant votre temps de méditation! Ça m’est arrivé plus d’une fois.

Le but n’est pas d’essayer de le faire car si cela doit arriver, ce sera sans effort de votre part, tout naturellement. Le sommeil et toute forme de pratique consciente qui n’implique pas une réflexion active sur la tâche créative est utile.

La méditation en marchant est aussi une pratique idéale pour réduire le stress et l’anxiété qui peuvent survenir lorsque vous êtes en situation de “ne rien faire”. Détendez-vous et laissez l’inspiration venir naturellement ! D’un certain point de vue, vous avez déjà autant d’idées qu’il est possible et peut-être même trop.

Il est temps de demeurer en mode déconnexion. Dormez, reposez-vous, faites de la natation, cuisinez, profitez de la vie qui s’écoule pendant que votre cerveau prend automatiquement soin d’organiser votre mémoire et d’ouvrir la voie à une vision créative.

III. L’illumination :

Lorsque nous pratiquons la pleine conscience, nous sommes plus clairs et pouvons mieux percevoir nos propres pensées. En d’autres termes, la pleine attention augmente la conscience de soi. Si une idée brillante apparaît dans un esprit encombré et bruyant, vous pouvez la manquer. Donc, quand le moment de l’inspiration vient, assurez-vous d’être dans les meilleures conditions pour recevoir un signal clair.

Ce moment vient souvent de façon soudaine, inattendue et inexplicable. C’est le fameux “eurêka, j’ai trouvé”, le véritable moment de la vision créative lorsque des idées indépendantes et subconscientes sont brusquement reliées entre elles, présentées à notre conscience de façon brève par le réseau par défaut ou réseau de salience, qui détecte et attrape immédiatement ce petit éclair de lumière dans notre vaste océan de pensées.

IV. L’affinage :

Vient enfin le moment de vérifier la réalité de notre vision créative et brillante mais brute.

Cette dernière étape nécessite de revenir à un mode de réflexion convergent qui utilise moins notre qualité d’imagination et plus de contrôle cognitif. Il s’agit ici de faire à nouveau appel à l’évaluation analytique afin d’affiner une idée dans quelque chose à la fois de novateur et d’utile.

Dans cette phase, où le principe de réalité est posé sur votre idée de génie, il est important de vous restiez concentré, positif et motivé sans être défaitiste. Même si la première tentative n’obtient pas les résultats souhaités, chaque essai ajoute de la créativité au suivant.

Souvenez-vous de la sagesse de Thomas Edison qui, en remplacement de l’ampoule à filament de bambou – qui grillait après 30h00 d’utilisation – co-inventa l’ampoule à filament de carbone : “je ne me décourage pas car toute tentative infructueuse qu’on laisse derrière soi constitue un autre pas en avant”.

Continuez de méditer en pleine conscience pendant votre processus d’affinage et de vérification de la faisabilité de votre idée géniale. Pour choisir les options les plus novatrices et les plus efficaces de votre solution, maintenir la pratique méditative favorisera l’attention et le développement des compétences nécessaires au processus de structuration induit par la pensée convergente.

Le processus créatif est comme une fenêtre dans nos tendances cognitives – une opportunité qui nous est offerte de bien mener l’orchestre tout en improvisant. C’est une occasion fabuleuse de pratiquer le non-jugement et la confiance en soi, surtout quand les choses ne tournent pas parfaitement ou comme nous l’imaginions. Une fois votre créativité déployée, je ne peux que vous encourager à la persévérance.

En agissant ainsi, équilibrer l’art du processus créatif ne devient-il pas également un processus d’affinage de notre esprit ?

 

Jean-Marc Terrel
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