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Le lien entre la quête du bonheur et la connaissance de soi est souvent établi par les spécialistes du développement personnel. Mais il me semble peu pertinent de parler de poursuite du bonheur sans tenir compte du fait que ce terme très usité ne signifie pas la même chose pour tout le monde.

Qu’est-ce que le bonheur ?

Pour les uns le bonheur est une sensation fugace qui provient de l’extérieur, un plaisir éphémère qu’il faut savoir saisir dans toutes ces petites choses que le quotidien nous offre et que nous ne voyons plus tellement elles nous paraissent banales. Pour les autres, c’est un objectif qu’on doit s’appliquer à atteindre et qui est lié à la satisfaction de besoin matériels. Pour d’autres encore le bonheur est une attitude de positivisme de principe qui exclut toute forme de tristesse ou de négativité. Et je ne parle pas de ceux qui pensent qu’on est, ou pas, heureux de naissance, ni de ceux qui s’interdisent d’être heureux par peur d’être déçus ou frustrés.

Alors qu’en est-il vraiment du bonheur et en quoi la pratique de la pleine conscience peut-elle nous aider ?

La partie de notre esprit avec laquelle la plupart d’entre nous s’identifie je l’appelle le roi des bavards. C’est cette partie de nous qui commente, qui juge et qui bavarde en permanence dans notre tête au sujet de ce que nous sommes ou ne sommes pas, de ce que nous faisons ou ne faisons pas et de ce que nous avons ou n’avons pas.

Elle peut devenir tellement envahissante qu’il devient très difficile de la faire taire plus de quelques secondes. Et lorsqu’on commence la pratique de la méditation pleine conscience, on réalise souvent à quel point cette partie de notre esprit a pris le contrôle de nos pensées. Le pratiquant qui persévère découvre ensuite que le “roi des bavards” a tendance à orienter l’attention sur la saisie plutôt que le lâcher-prise, sur le plaisir plutôt que sur la douleur, sur la peur plutôt que sur la confiance en soi, sur la joie plutôt que la tristesse, sur le déni plutôt que sur l’acceptation, sur le gain plutôt que la perte, etc.

Son rôle, bien qu’essentiel à l’apprentissage du choix et de la liberté, se cantonne à un “espace bipolaire” qui nous maintient dans une vision dualiste de la Vie. La dualité est nécessaire à notre évolution car si nous pouvions réellement atteindre un état de bonheur ininterrompu, nous n’aurions plus aucune motivation pour mettre en marche le mouvement et les changements indispensables à notre progression ; ce que je ne pense évidemment pas souhaitable.

Si la dualité existe, s’il y a du manque, du mal, du malheur et de la souffrance, c’est afin que nous évoluions vers le haut : en effet, quand tout va bien, qu’il n’y a pas d’épreuves, nous n’apprenons rien ou très peu à notre propre sujet ou au sujet de la Vie. Cela peut paraitre choquant ou inacceptable pour beaucoup mais c’est pourtant bien vrai.

C’est en effet dans le creuset des épreuves, ces opportunités que la Vie nous offre en cadeau, que nous trouvons l’énergie et la motivation du changement. Si vous refusez de quitter une vision du monde “à l’eau de rose”, de telles affirmations peuvent vous paraître dures, voire impitoyables.

Mais si vous acceptez la réalité intrinsèque de l’existence, l’inévitable et nécessaire tension entre les pôles opposés de votre existence peut devenir une véritable source de progrès : quand le bonheur est là vous en jouissez pleinement tout en sachant que tout est impermanent et, donc, que rien ne dure. Et quand le malheur frappe à votre porte – une fois reconnues et accueillies les émotions désagréables liées à cette situation – vous savez que c’est le moment d’apprendre, de changer, d’évoluer.

Conscient de cela, vous pouvez alors plus facilement vous réjouir de ce qui est en train d’émerger de nouveau dans votre vie, car vous savez intérieurement que ce que la chenille appelle “la mort”, le papillon l’appelle “renaissance”. 😉

Le bonheur ne peut pas venir d’une vision déséquilibrée de la réalité

Le premier pilier de la pleine conscience consiste à accueillir sa propre expérience de l’instant présent dans une attitude de non-jugement. Puisque le bavard en est infoutu et que c’est un des fondamentaux de la plupart des grands chemins spirituels, c’est probablement que les sages ont découvert qu’une autre partie de nous en est capable. Vous ne croyez pas ?

J’aime parler de ce qui, en nous, pratique la pleine conscience comme étant “le témoin”, “l’observateur” ou “la présence”. Cet aspect fondamental de notre être est “cela qui, en nous, connait et sait”. La présence qui observe le bavard en nous est en dehors de la dualité. Elle l’intègre et la dépasse car, de son point de vue, tous les aspects de la dualité sont aussi valables les uns que les autres.

Dans cette dimension, il n’y a plus de séparation, plus de sujet et plus d’objet, plus de haut et de bas, de bien et de mal, de lumière et d’ombre, de vie et de mort. Il n’y a que réunion des opposés complémentaires. Ne subsiste en elle, pour ainsi dire, que la totalité et la complétude. Il n’y a, dans la dimension de la présence, plus que l’union et la relation indicibles de toutes les choses entre-elles, l’intégration et le dépassement ineffables des contradictions qui conduit à la liberté complète et au bonheur total.

La pratique de la pleine conscience devient ainsi une merveilleuse approche du réel, qui augmente la prise de conscience de ce qui se passe réellement à chaque instant, parce la présence en nous n’ignore pas ou n’accentue pas certains aspects de la réalité sur la base de préférences dualistes.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous comprendrez sans doute pourquoi je réfute l’idée que la méditation pleine conscience pourrait nous mener à un bonheur basé sur une sensation de plaisir, même extatique, sur l’atteinte d’un objectif, la satisfaction d’un besoin matériel, ou sur le rejet des aspects désagréables de notre expérience comme, par exemple, nos peurs.

En effet, comme toutes ces fausses visions du bonheur sont nécessairement basées sur des jugements dualistes – qui amputent la réalité des choses telles qu’elles sont – le bonheur que recherchent la plupart des gens est, de mon point de vue, une illusion fondée sur des préférences. Et ces appétences n’ont rien de commun avec le fait d’accueillir et d’accepter notre vécu dans une attitude de non-jugement, comme l’exige une authentique pratique de pleine conscience.

Ceci signifie que si vous pratiquez correctement la méditation de pleine présence, votre étape ultime ne sera pas un bien-être merveilleux fait d’extase sensorielle, mais plutôt une conscience élargie, spacieuse, de ce que vous percevez ici et maintenant. Et que cela plaise ou non à vos sens n’aura plus aucune importance. Le plaisir des sens ou la douleur seront juste des aspects de votre expérience, des parties du puzzle de l’instant présent que vous aborderez avec la conscience qu’ils sont comme l’arbre qui cache la forêt.

Précisons ici, car la question ma déjà été posée, que pratiquer la pleine conscience ne signifie pas que nous nous n’avons aucune préférence ou que nous ne faisons rien dans nos vies pour soulager la douleur lorsqu’elle se présente. Nous ne sommes pas des mollusques décérébrés qui subissent passivement les aspects sombres de l’existence! 😀

Cela ne signifie pas non plus que nous sommes insensibles au sentiment de satisfaction ou aux innombrables plaisirs éphémères que peut offrir une attention vigilante à toutes les beautés que la Vie peut nous offrir au quotidien. Nous ne souffrons pas (je l’espère) d’alexithymie.

En fait, comme pour tout un chacun, c’est plutôt le roi des bavards qui nous empêche d’être pleinement présents aux plus beaux aspects de notre existence. Il nous débite toutes sortes de commentaires au sujet des choses et des circonstances: ce qui aurait du être, de ce qui devrait être ou ce qui sera.

À cause de ce “matraquage mental”, la plupart d’entre nous se trouvent inconsciemment sous son influence, en mode zombie ou “pilotage automatique”. De ce fait, un grand nombre de personnes se trouvent bien en peine pour accéder à leur “observateur” autant qu’elles le pourraient et le devraient.

Cela leur permettrait pourtant d’accueillir les sensations, les émotions, les ressentis et les pensées sans porter de jugement, sans saisir un aspect préférentiel et, donc, déséquilibré de leur expérience. Elles apprendraient ainsi à embrasser la totalité de ce qui est présent pour elles à chaque instant.

Malencontreusement, l’immense majorité d’entre nous ne perçoit qu’une image tronquée de la réalité que l’accès à “la présence” permet d’accueillir dans sa totalité. Comment un bonheur authentique pourrait-il provenir d’une vision partielle et déséquilibrée des choses ?

Car le manque d’équilibre est bien l’une des principales causes de la souffrance et du manque de bonheur : nous sommes tellement absorbés par les jugements émis en permanence par le bavard que nous en devenons incapables d’accueillir la Vie telle qu’elle se présente à nous.

Nous nous saisissons d’expériences douloureuses qui deviennent de véritables échardes que nous remuons dans une chair meurtrie par la souffrance mentale que nous ajoutons à notre douleur physique. À la fois auteur, metteur en scène, acteur et spectateur de notre bonheur ou de notre malheur, nous ne voyons pas que c’est notre ego qui scénarise une image tronquée de ce que nous appelons la réalité.

Nous finissons même par croire à la vérité de notre propre scénario, par auto-justifier tout ce qui nous arrive et par rejeter sans le savoir des expériences qui pourraient pourtant nous aider à progresser dans notre histoire. Nous nous évertuons à vouloir changer des expériences qui nous arrivent et que nous n’acceptons pas, manquant ainsi les nouvelles connaissances que la Vie voudrait nous offrir.

Nous manquons finalement la pleinitude qui se trouve au cœur de chaque instant, comme si nous avancions dans la vie avec des oeillères.

En conséquence de toutes ces zones d’ombre, beaucoup de personnes se lancent dans la pratique de la méditation pleine conscience dans le but d’atteindre un état particulier de bien-être ou de félicité.

Quoi de plus compréhensible ?

Et, en effet, parvenir à désactiver le roi des bavards pour être attentif au seul instant présent peut produire des sensations physiques vraiment très agréables ; même si l’expérience ne dure que quelques secondes. Ils en viennent alors à rechercher cet état de félicité qui efface momentanément la souffrance qui est générée dès que le bavard émet des jugements négatifs sur les choses.

Avec beaucoup de pratique, certains méditants parviennent même à des états tellement agréables qu’ils sont convaincus d’avoir trouvé le chemin de l’illumination et le but de la méditation. Plutôt que des douleurs atroces ils ressentent, par exemple, de doux frissons qui parcourent leur corps comme une onde électrique particulièrement agréable. Ils atteignent ainsi des “sommets de plaisir”. Ils ne sont, malheureusement, que tombés dans un autre des pièges de leur ego : celui du plaisir des sens, l’un des cinq obstacles à la pratique authentique. Ce guet-apens concerne le bonheur illusoire et les sensations extatiques particulièrement agréables que peut procurer la pratique soutenue de la méditation.

L’extase des sens, qui peut être produite par certaines pratiques méditatives intensives – comme d’ailleurs par l’usage de certaines drogues – amène d’une façon ou d’une autre à se soustraire des différents aspects complémentaires du monde sensible.

La mauvaise nouvelle c’est que ce n’est pas un critère attendu de la pratique de la méditation pleine conscience, bien au contraire, que de courir après le plaisir des sens. Cette recherche du bien-être et de l’extase sensorielle est une des distractions de l’esprit qui se retrouve, une fois de plus, pris au piège du monde de la dualité : en méditant, ressentir des “sommets de plaisir” découle d’un jugement de valeur qui signifie que vous ressentez (reniez?) aussi des “vallées de déplaisir”.

Or, le bonheur authentique se trouve au-delà de la dualité sommet/vallée et, donc, au delà de la seule extase sensorielle. 😉

Voulez-vous en connaitre le secret ?

En fait, le secret c’est que le véritable bonheur existe tout autant, intrinsèquement, dans les sommets que dans les vallées, dans le plaisir que dans la douleur. Il n’y a pas plus de bonheur dans les périodes où vous êtes au sommet que dans celles où vous vous trouvez dans les vallées. Les unes comme les autres font simplement partie du chemin et le bonheur est disponible à chaque instant, que vous vous sentiez au plus haut ou au plus bas. Et ça c’est vraiment une bonne nouvelle si vous prenez le temps d’y réfléchir sérieusement… 😀

Si vous ne trouvez pas le bonheur, peut-être ne cherchez-vous pas au bon endroit ?

Sainte Thérèse d’Avila, la mystique chrétienne réformatrice de l’ordre du Carmel, a passé une bonne partie de son existence à la recherche de la béatitude ; cet état de jouissance extrême qui donne un aperçu au croyant de l’allégresse céleste qui attend les élus qui rejoignent Dieu après leur mort.

Elle a souffert toute sa vie de douleurs physiques et elle commença par penser qu’elle ne pourrait atteindre la félicité promise qu’en s’affranchissant assez longtemps de la douleur pour pouvoir expérimenter cet état d’extase sensorielle. Elle s’est finalement rendu compte de son erreur et a fini par trouver ce à quoi elle aspirait.

En décrivant la différence entre l’extase et le bonheur, elle a déclaré : “la douleur est toujours présente mais elle me dérange si peu, maintenant, que j’ai l’impression qu’elle sert mon âme”.

Le bavard en elle avait certes perçu toute la douleur présente et, en même temps, elle a fini par accueillir le bonheur que seule la présence en elle pouvait percevoir dans son entièreté. Somme toute, par la pratique répétée, elle a appris à se distancier de son propre bavardage mental en grandissant dans son acceptation des choses telles qu’elles étaient. “Oui” la douleur existait en permanence et “oui” celle-ci pouvait lui servir de guide pour découvrir quelque chose de plus grand. Finalement, en accueillant l’image tout entière, elle a trouvé ce qu’elle cherchait.

L’étape ultime de la pleine conscience n’est pas l’extase sensorielle, la félicité, la béatitude ou même le bien-être. Si la pratique y conduit parfois, elle nous amène aussi et peut-être surtout à expérimenter plus pleinement les douleurs physiques bien réelles que nous vivons tous, mais aussi les souffrances mentales que nous y ajoutons ; que celles-ci soient émotionnelles, mentales ou spirituelles.

Nous découvrons la nature de notre esprit et son mode de fonctionnement. Ce à quoi nous mène alors la pratique de la méditation pleine conscience, c’est au bonheur authentique. Mais afin de l’accueillir pleinement, vous devez d’abord bien comprendre la différence entre l’extase passagère et le bonheur véritable : chaque instant de nos vies est en effet une opportunité d’expérimenter le bonheur mais nous le rejetons ou l’évitons parce que nous pensons, souvent inconsciemment, que les expériences difficiles doivent d’abord être supprimées.

C’est comme si nous nous interdisions d’être heureux tant que tous nos problèmes ne sont pas réglés. Où alors nous plaçons toute notre énergie dans la recherche de plaisirs sensoriels, voire sensuels, dont la durée est somme toute très relative et ce, aux dépends des autres aspects moins agréables de notre expérience.

Pourtant, nous ne sommes jamais aussi proche du bonheur que dans ces moments difficiles car ils nous défient de briser notre attachement à l’idée d’un “bonheur sensoriel” qui n’est en fait lié qu’à une extase passagère dépendant de circonstances elles aussi éphémères.

Il ne s’agit pas vraiment d’un bonheur authentique si l’expérience que nous étiquetons “bonheur” disparait à la moindre douleur physique ou souffrance mentale. Le bonheur est au-delà de l’expérience dualiste heureux/triste, gain/perte, plaisir/déplaisir ou même santé/maladie.

Nous ne connaissons pas la vraie nature du bonheur tant que nous sommes incapables de voir ce qu’il y a d’heureux dans notre peine, de gagné dans notre perte ou de plaisant dans notre douleur. Tant que nous ne voyons que des pièces du puzzle, il manque quelque chose à la complétude du tableau. Tant que nous ne percevons qu’un seul côté de la pièce, nous n’avons pas d’idée de sa véritable valeur.

Mais une fois que nous trouvons le bonheur dans la douleur, c’est un signe que nous devenons aptes à le trouver partout. Notre esprit accueille les circonstances dans une perspective différente, plus complète, plus entière. C’est comme s’il percevait les deux faces d’une même pièce simultanément, sans en favoriser ni en rejeter aucune. Au lieu de se tenir du côté pile ou du côté face, il se tient comme sur la tranche réunissant les deux aspects de la dualité en une seule et unique perception de la réalité.

Plus rien ne manque à ce qui est présent et cette complétude est la source d’un bonheur indicible qui ne peut être ôté ni sur les sommets, ni dans les vallées. 😀

Parvenu à cette compréhension de la Vie, le sentiment du bonheur n’est plus conditionné par certains états passagers mais devient une pratique en soi. La source de ce bonheur est, en fait, l’équanimité qui considère que tous les phénomènes qui parviennent à notre expérience sont valables et peuvent être une source de progression. Et c’est cette équanimité, dont l’essence est faite de non-jugement, qui devient le coeur de la pratique d’un bonheur qui est lié à un profond sentiment de complétude intérieure et de liberté.

Ce bonheur est fait tout à la fois d’acceptation, de contentement et de détachement. Il irradie vers l’extérieur et se maintient dans la vie avec une certaine constance ou stabilité, d’où provient une certaine sagesse.

Alors, quelque soient les goûts et les dégoûts du bavard, le pratiquant sait maintenant du fond de ses tripes que le bonheur provient de la façon dont il accueille chaque aspect de l’instant présent ; qu’il soit agréable ou désagréable n’a vraiment aucune importance. Et si l’équanimité c’était le véritable nom du bonheur ?

 

Jean-Marc Terrel
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