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L’amour authentique n’a pas grand chose à voir avec la description qu’en font la plupart des films romantiques ou des chansons d’amour. Je veux dire par là que le véritable amour ne fait pas mal car il est intrinsèquement bienveillant. S’il fait mal, c’est autre chose que de l’amour. Quelque chose qui se travestit dans les vêtements de l’amour et se fait passer pour ce qu’il n’est pas : de la peur, de l’attachement, de la dépendance, de la possession ou du fanatisme idolâtre

Nous confondons d’ailleurs le plus souvent le besoin et l’amour, le désir et l’amour, la possession et l’amour, l’adoration et l’amour. Or ces confusions ne sont pas différents aspects ou niveaux d’intensité de la même chose. L’essence de l’amour bienveillant n’a rien à voir avec tout ce qui peut engendrer de la souffrance. Aucun cœur ne peut réellement souffrir d’amour vrai, mais beaucoup de cœurs souffrent d’envie et de désir.

Alors peut-on vraiment aimer sans désirer ou sans s’attacher ? C’est ce que j’ai envie d’aborder avec vous pour terminer cette série des 21 piliers de la méditation pleine conscience.

En première analyse il peut d’abord sembler que parler d’amour n’a pas grand chose à voir avec la pratique de la pleine conscience. Et puis, à y regarder de plus près, on réalise que la question de l’amour est au cœur de toutes nos relations et même de nos vies. Et puisque notre pratique de la pleine conscience et de la méditation transforme nos vies et nos relations, l’amour bienveillant est forcément au cœur de cette approche. Et, en effet, la pleine conscience n’est pas, loin s’en faut, une pratique uniquement mentale malgré ce qu’en disent certaines personnes mal informées.

En fait, j’aime dire que le verbe aimer se conjugue à tous les temps et dans toutes les situations, depuis notre conception jusqu’à notre mort. Quel rapport avec notre sujet ? Le voici : développer son aptitude naturelle à la pleine conscience ne consiste pas qu’à être attentif aux sensations, c’est aussi observer attentivement tout ce qui se joue aux niveaux émotionnel et (senti)mental.

Alors comment l’amour pourrait-il être exclu de cette pratique attentionnelle ? Il ne l’est pas, évidemment, même si le débutant n’a aucune conscience au départ de l’ensemble des aspects de sa personne qu’il apprend à connaitre par la simple observation attentive et sans-jugement de sa propre expérience, instant après instant. Pourtant, le fait que cette pratique se base sur le non-jugement nous donne déjà un indice précieux – sur lequel nous reviendrons plus loin – au sujet de ce qui se joue de façon embryonnaire au cours de la méditation pleine conscience.

Il est utile, avant d’aller plus loin, d’avoir à l’esprit que les représentations que nous nous faisons à notre propre sujet, au sujet des autres et de la Vie en général sont toutes insufflées par l’ego. L’ego c’est une conscience de notre individualité liée à des mémoires. Celle-ci n’est bonne, ni mauvaise et l’ego n’est pas un ennemi mais une partie utile de ce que nous sommes, en particulier pour fixer des frontières parfois bien nécessaires en société.

Les problèmes surviennent lorsque l’ego devient notre seule façon d’exister. Une existence égotique construite autour de souvenirs, de talents, de possessions, de réalisations et de titres. C’est donc l’identification à l’ego qui est problématique car celui-ci n’a pas d’existence propre et ce sur quoi il s’appuie pour se construire et subsister peut disparaitre à tout instant, comme un souffle.

L’ego cherche cependant – au travers du faire et de l’avoir – à satisfaire toutes sortes de besoins individuels et par définition égoïstes. Or l’Être – ce qui existe au-delà des mots et des concepts – réunit et intègre le faire et l’avoir tout en se situant au-delà des contingences passagères du faire et de l’avoir. Mais avant de découvrir notre être authentique, nous aimons avec et au travers de notre ego. Or, lorsque l’ego aime, il le fait toujours afin de satisfaire un besoin individuel, un manque personnel.

Par exemple, selon le psychiatre Carl Gustav Jung, l’homme qui aime cherche LA femme parfaite dans toutes les femmes. Il vit alors avec chacune UN aspect du féminin idéal correspondant à sa projection du moment et il trouve dans chaque femme un peu de la femme fantasmée qu’il voudrait inconsciemment rencontrer. Mais, évidemment, aucune femme ne sera jamais tout à fait “celle qu’il attend depuis toujours”. 😉

Selon Jung, encore, la femme cherche quant à elle à retrouver TOUS les hommes en un seul homme, le fort, le courageux, le doux, le romantique, etc. Elle doit bien s’avouer elle aussi, un jour ou l’autre, que l’être qui vit ou vivra à ses côtés n’est pas “le prince charmant” et qu’il est plein de lacunes et de défauts. 😀

Il est clair que quelque chose ne fonctionne pas dans cette façon d’aimer orientée vers la satisfaction d’attentes ou de besoins personnels le plus souvent inconscients. Quel que soit le sexe, s’il existe vraiment, l’amour authentique acceptera l’autre tel qu’il est est, sans aucune attente implicite ou explicite de satisfaction d’un besoin égotique. Et cela nous donne un indice supplémentaire important sur la nature du véritable de l’amour : si l’amour vrai a une orientation, ça n’est pas vers soi-même mais plutôt vers l’autre. Cette sorte d’amour là est détaché des amertumes passées et des attentes futures.

L’amour authentique se vit dans l’instant présent et l’accueil inconditionnel de l’être aimé. Il suppose une authenticité et une maturité émotionnelle qui, plutôt que de créer une dépendance entre deux êtres, insufflent de la liberté. 😉

Ne confondons pas l’amour et le désir

D’un côté, le désir est simple et souvent imprudent. Nous devons le gérer avec soin afin d’éviter de nuire à nous-même ou à autrui. Le désir nait soit de l’intention d’obtenir quelque chose de mieux, plus sûr, plus agréable, soit du rejet de ce qui est, en faveur de ce qui aurait pu être ou pourrait être.

De l’autre côté, l’amour authentique est animé de l’intention de laisser toute chose être pour elle-même, quelqu’elle soit. Évidemment, ça n’est pas simple ! Beaucoup d’entre nous grandissent en effet en confondant le désir – fait d’un tissu d’attirance et de rejet – avec l’amour tissé d’acceptation inconditionnelle.

Du coup, il est difficile de comprendre la nature de l’amour bienveillant lorsque vous êtes sous le contrôle de vos propres désirs de faire et d’avoir. En plus, et même si ça n’est pas la même chose, le désir peut se produire en même temps que l’amour. Pourtant, l’amour authentique n’est pas quelque chose qui peut être obtenu ou qui peut être fait.

L’amour EST, tout simplement.

La jalousie peut être un indice pour différencier l’amour et le désir : la jalousie nait en effet d’un désir incontrôlable de posséder ou de dominer ; qui n’est ni de l’amour, ni une preuve d’amour. La jalousie est en réalité enracinée dans la peur du manque, ainsi que dans un déficit d’estime et de confiance en soi.

Le désir, sous ses différentes formes, peut conduire les gens à faire n’importe quoi. C’est un affect qui peut troubler l’être humain du point de vue corporel et psychique en générant, par exemple, un appétit alimentaire ou sexuel insatiable, voire une intensité mentale irrationnelle. Pendant toute la durée du désir le plaisir des sens – premier obstacle de la pratique – peut être exacerbé.

Malheureusement – comme chacun de nous a sans doute déjà pu l’expérimenter – posséder l’objet du désir ne satisfait pas le désir, car on ne désire pas ce qu’on possède et, dès que l’on possède ce qu’on désirait, la chose possédée perd de son intérêt. On se sent alors déçu et frustré et on cherche alors l’exacerbation des sens dans une nouvelle chose a désirer.

Au contraire, l’amour vrai ne rend personne jaloux. Il assainit et assagit. Il ne pousse pas les gens dans des crises de jalousie. L’amour authentique ou bienveillant ne conduit jamais les gens – soi disant par amour – à tuer ou à voler, à tricher ou à jalouser, à fantasmer ou même à s’inquiéter.

L’amour bienveillant se révèle lorsque vous libérez votre besoin de posséder la chose – qui peut être un objet, une personne ou un animal – de votre désir. Cela se produit au moment ou vous réalisez que vous approprier cette chose ne vous rendra pas plus heureux ou plus complet, ni plus satisfait d’exister. Le fait que cette chose existe est suffisant en soi. Nul besoin de se l’approprier, de la posséder.

L’enseignant Osho résume très bien les choses à ce sujet: “si tu aimes une fleur, ne la cueille pas. Si tu la cueilles, elle meurt et elle arrête d’être ce que tu aimes. Alors si t’aimes une fleur, laisse-la vivre. Tout simplement.

L’amour n’est pas la possession. L’amour, c’est apprécier ce qui est”. Aimer quelque chose ou quelqu’un de façon authentique et bienveillante consiste à s’effacer, à disparaître en sa faveur. Aimer authentiquement, cela signifie mourir à ses propres intérêts afin que la chose aimée – objet, animal ou personne – puisse être ce qu’elle est vraiment, pleinement, inconditionnellement. “Joli discours” me direz-vous, mais une telle attitude peut paraitre surhumaine à la plupart d’entre nous.

Qu’elle est la source de l’amour bienveillant ?

Sur votre chemin de vie, l’amour bienveillant est peut être quelque chose de nouveau mais réfléchissons un instant : la Vie, au-travers de sa nature impermanente, éphémère, ne se charge-t-elle pas d’offrir à chacun de nous des opportunités d’apprendre à aimer d’un amour plein, sans attachement, sans condition ? Qu’est-ce qui, en effet, pourrait bien appartenir réellement à des êtres qui naissent nus et terminent en poussière ?

Rien et tout à la fois : RIEN car, lorsque nous pensons nous approprier des objets, des titres, des animaux ou des personnes, nous n’amassons que vanités au cours d’une vie terrestre qui – à l’échelle de l’Univers – ne dure pas plus longtemps qu’un souffle. TOUT car toutes choses sont reliées les unes aux autres par des liens invisibles qui font qu’il n’existe pas réellement de séparation entre l’océan et la goutte d’eau…

L’histoire raconte d’ailleurs qu’il y avait un homme très riche et un homme très pauvre. Chacun d’eux avait un fils et chacun d’eux vivait de part et d’autre d’une grande colline. Un jour, l’homme très riche fit monter son fils au sommet de la colline et, embrassant tout le paysage d’un grand geste du bras, il lui dit : regarde, bientôt tout cela sera à toi ! Au même instant, l’homme très pauvre qui avait fait monter son fils sur l’autre versant de la colline lui dit simplement, devant le soleil levant qui illuminait la plaine : regarde, toute cette beauté sera toujours en toi !

L’amour authentique émane de la nature essentielle de l’esprit. Il est à la source de toute chose mais demeure masqué par les voiles de l’ego. Cet amour-là émane d’une capacité humaine beaucoup plus sophistiquée que le simple désir, même si ce dernier, pour le meilleur ou pour le pire, a toujours été un moteur puissant de la motivation humaine. Car la nature du désir n’est pas mauvaise en soi. Bien géré, certains désirs peuvent en effet soulever des montagnes et conduire à l’accomplissement de grandes choses, y compris au service d’autrui.

Mais lorsqu’il est mal géré, le désir est comme un vieux moteur bruyant et mal réglé qui consomme toute l’attention de son conducteur, comme si c’était un carburant illimité. Le désir brûle toute l’attention et force le conducteur ivre d’envie à dépenser beaucoup d’énergie sur de courtes distances et en prenant de grands risques. Les désirs sont personnels. Ils vous sont attachés et vous mènent là où vos attachements vous mènent. Ils ne peuvent pas être plus grands que vous. À l’inverse, l’amour bienveillant désaltère à la fois la personne qui l’offre et celle qui le reçoit. C’est comme une eau pure et fraiche qui permet à chacun d’avancer loin à peu de frais.

L’amour authentique est impersonnel. Il est plus grand que vous et moi ne le seront jamais. Il vous dépasse totalement tout en vous incluant pleinement… Aimer ce qui se trouve au-delà de vous mais qui vous contient, c’est vouloir que le bonheur de ces choses ou de ces personnes soit au moins aussi grand que le vôtre.

Par conséquent, l’amour bienveillant dissout toutes les frontières et séparations entre vous et moi, entre vous et eux, entre nous tous. Ces frontières sont de toute façon conceptuelles et imaginaires, culturelles et sociales, éducatives et liées à une époque. L’amour authentique nous donne la capacité de voir suffisamment clairement pour constater que les frontières qui existent sont en nous, que les seules séparations qui existent sont aussi en nous. Tout ce que nos désirs égoïstes cherchent à accaparer, à posséder, à dominer, à contrôler à l’extérieur, dans le monde, n’est que le signe que nous sommes encore sous l’emprise de l’ego, de la peur et de l’illusion du manque.

Rien ne manque en réalité ! Tout est déjà complet. Tout est déjà là, pleinement présent ici et maintenant, en abondance. Il ne s’agit “que” d’une question de changement de perspective, de paradigme. Il s’agit de passer du “je” au “nous”, du “pouvoir sur les choses et les gens” au “pouvoir pour les choses et les gens”.

Le désir est particulier, exclusif, mais l’amour est universel, inclusif. Ainsi, l’amour bienveillant ne peut être réservé à une seule personne. Si vous n’aimez qu’une seule personne, vous n’aimerez probablement personne. L’amour n’est pas quelque chose que vous pouvez viser ou atteindre puisqu’il est déjà là. C’est plutôt quelque chose que vous devez reconnaître et accueillir. Plus votre amour est vrai – en d’autres termes, moins vous l’avez confondu avec quelque chose d’autre – plus il devient universel. Aimer authentiquement, complètement et avec bienveillance, c’est aimer TOUT.

“Plus facile à dire qu’à faire”, me direz-vous maintenant. Et cela demande en effet de la pratique pour abandonner petit à petit le “c’est bon pour moi” au profit du “c’est juste bon”.

À l’échelle du temps de notre évolution, la plupart des êtres humains n’en sont qu’au début de l’expérimentation qui consiste à travailler avec quelque chose de plus grand et plus important que leurs désirs personnels. Mais l’amour bienveillant est déjà partout, comme en arrière-plan. Il est trop perceptible pour être complètement ignoré ou marginalisé, même parmi une population humaine largement sous l’emprise de désirs mal gérés et entretenus par un système matérialiste et consumériste qui trouve sa démesure ridicule dans le black friday. Malgré tous nos excès, je crois que c’est une période intéressante à vivre. De toute façon nous n’en avons pas d’autre que celle-ci! 😉

Nous baignons dans une culture de la consommation, tellement orientée sur la satisfaction personnelle qu’elle a inventé la pornographie, cette mise en scène vulgaire et bestiale de désirs purement physiques qui sert trop souvent d’éducation à des jeunes qui pensent que c’est ça “faire l’amour”. Nous devons apprendre à mieux canaliser nos désirs pulsionnels afin d’aimer pleinement, sans attentes et sans conditions.

La pratique régulière de la méditation pleine conscience offre une base précieuse pour découvrir le sens véritable de l’amour bienveillant. La solution à bien des problèmes du Monde sera de plus en plus évidente à mesure qu’un nombre croissant de personnes commenceront à le comprendre et à faire cette transformation. La première étape consiste à connaître la différence entre les différents stades de l’amour.

Quels sont les différents stades de l’amour ?

La langue française n’utilise qu’un seul verbe pour parler d’amour ce qui est aussi restrictif que de n’avoir que l’adjectif “vert” pour parler de toutes les nuances de vert qui existent. Du coup on aime sa femme, comme on aime sa maison, le chocolat, son chien ou le football. 😀 Difficile de bien comprendre la nature de l’amour dans ces conditions de langage. Pour cette raison, lorsque j’aborde le sujet de l’amour, j’aime revenir à mes études de théologie et à la façon dont l’amour est défini dans les Écritures.

Il existe plusieurs façons d”aimer et l’enseignement chrétien en distingue quatre qui m’ont aidé à construire mon mariage au cours de ces 20 dernières années. Je les donne ici à titre purement indicatif car elles constituent une grille de lecture et de réflexion, parmi d’autres, que je trouve intéressante : en grec il s’agit de la porneïa, de l’eros, de la philia et de l’agapé.

Le premier, l’amour porneïa, c’est celui du nourrisson pour sa mère, qu’il mange goulument à chaque tété ; presque comme s’il la consommait. Le nourrisson se délecte du contact physique, de la chaleur du corps de sa mère, de son lait. À ce stade très immature – mais qui peut malheureusement demeurer très longtemps chez certaines personnes – le corps de l’autre est un pur objet de satisfaction physiologique. C’est un amour dévorant, passif et dépendant qui attend que “l’objet autre” nourrisse le manque en soi. C’est amour là est uniquement pulsionnel et s’il n’est pas nécessairement mauvais en soi, il constitue vraiment le stade zéro de l’amour. C’est plus un besoin qu’un désir à proprement parler.

Le second stade, l’amour eros, est tout orienté vers le corps mais se dégage de l’emprise du besoin pour entrer dans le désir. Il concerne les désirs de la chair, le plaisir et la libido. C’est l’amour de l’attirance physique qui est souvent celui des débuts de relations amoureuses et qui s’épanouit dans l’érotisme sensuel, le toucher, l’odeur de l’autre, le plaisir des yeux, le son de la voix. Si vous me passez l’expression il ne s’agit pas que d’une “histoire de cul”, c’est aussi une pulsion de vie qui s’exprime ici. Rien de mauvais dans tout cela si ce n’est que l’eros n’est pas une garantie de durabilité car les corps changent avec le temps et que les pulsions peuvent disparaitre comme elles sont venues à mesure que les corps vieillissent et perdent de leur attrait. L’amour eros est plein de manques, mais il libère quelque chose en nous qui invite déjà au choix et donc au renoncement qu’appelle de ses vœux l’amour bienveillant.

Avec le troisième, l’amour philia, s’introduit l’idée de la gratuité. C’est un amour qui implique une totale réciprocité, une relation d’estime mutuelle et paritaire que l’on expérimente parfois dans certaines amitiés qui n’incluent pas la dimension de l’eros. Il ne s’agit pas d’amitié d’enfance, de camaraderie, de copinage ou de ces relations amicales dont on peut tirer quelque chose. L’amour philia est plutôt un immense sentiment d’estime réciproque que l’on se témoigne et qui concerne ce genre d’ami, plutôt rare, dont on peut dire sans hésiter qu’on sera toujours là pour lui en cas de besoin. En fait, l’amour philia se soucie véritablement d’offrir à l’autre le meilleur sans même qu’il ait besoin de le demander et sans rien attendre en retour. Beaucoup d’entre nous ne connaitrons jamais ce genre d’amour tandis que d’autre le rencontreront une ou deux fois au cours de toute leur vie.

L’amour agapé, enfin, est totalement désintéressé et inconditionnel. C’est amour si profond et si puissant qu’il est à la source, intarissable, de toute chose. C’est, dans la grille de lecture chrétienne, l’amour du Dieu vivant qui montre aux hommes qu’ils devraient l’aimer pour ce qu’il est et non pour ce qu’il donne et qui les invite à aimer sans attente de réciprocité. Cet amour-là – impossible à expérimenter pour l’égo – n’est pas fait de besoin, d’attirance ni de pulsion. Il n’est pas fait non plus d’un immense sentiment d’estime de l’autre, il ne choisit pas qui aimer ou haïr, il aime TOUTE l’humanité et lorsqu’il fait du bien à un seul être en particulier, c’est au nom de son amour pour tous les êtres. Dans ces manifestations, cet amour-là rejoint, sans aucun doute, l’amour bienveillant et altruiste cher au Bouddha car l’amour agapé est à l’exact opposé du besoin, de l’attirance et de l’attachement. Pour un individu, cet amour bienveillant se vit au travers d’une sensation de permission ou de libération, plutôt que d’un sentiment de manque, de recherche ou d’affection. Il s’agit de laisser aller plutôt que de retenir.

Et l’amour bienveillant dans tout ça ?

L’amour que j’appelle ici authentique ou bienveillant est inconditionnel. Il est subtil, silencieux et délicat. Il se cultive et lorsqu’il apparait, comme une jeune pousse frêle, il peut être facilement détruit par la luxure, l’envie ou la peur. D’ailleurs, la force brutale afflige et détruit cette sorte d’amour très vulnérable.

L’amour bienveillant est puissant mais il n’est pas forcé. Pour grandir et s’établir en nous, cet amour véritable doit avoir de l’espace et il ne doit pas être contraint ou imposé. Cet amour-là est celui auquel invite toute transformation authentique. C’est une forme d’amour qui se focalise sur le développement de sentiments positifs à l’égard des autres et sur la pratique d’actes concrets comme : la gentillesse, la sympathie ou la considération.

Pour cette raison, dans la plupart des grandes traditions spirituelles humaines, on retrouve toujours une invitation à cultiver cet amour-là qui se présente sous différents noms : chesed ou l’alliance d’amour dans le judaïsme qui a été traduit par miséricorde ou charité dans le christianisme ; metta ou la bienfaisance dans le bouddhisme ; priti dans l’hindouisme ; yogabindu dans le jaïnisme, etc.

Comme on le sait aujourd’hui au travers de la recherche, l’empathie, la gentillesse et la compassion sont des sentiments très basiques dans l’espèce humaine. Quasiment dès la naissance, les bébés éprouvent de l’empathie. Or il n’y a rien de moins égotique qu’un bébé dont toute l’existence est tournée vers l’extérieur avant qu’il n’apprenne à devenir une personne séparée du reste du Monde, avec une identité propre et, donc, un ego bien à lui. Mais c’est un autre sujet…

Il n’est en tous cas pas étonnant pour moi que cet amour bienveillant – qui inclut au lieu d’exclure – soit une notion récurrente de tous les grands chemins spirituels et religieux. Par ailleurs, on sait également que la pratique de la méditation dite “de l’amour bienveillant” offre de nombreux bienfaits qui s’étendent d’une amélioration du sentiment de bien-être à la guérison de certaines maladies tout en passant par une augmentation de l’intelligence émotionnelle, cette compétence sociale dont nous avons tellement besoin.

La pratique de la méditation de l’amour bienveillant semble améliorer positivement les attitudes interpersonnelles ainsi que les émotions. Dans un contexte de jeu, par exemple, les personnes ayant pratiqué ce type de méditation affichent un comportement pro-social, c’est-à-dire plus aidant que celles qui n’ont pas pratiqué (2011 Leiberg, Klimecki et Singer). Les mêmes chercheurs ont remarqué en 2013 que l’entrainement à ce type de méditation augmente la réponse empathique des participants à la détresse des autres ainsi que les expériences affectives positives.

Une autre étude de 2012 faite sur les interventions basées sur la pleine conscience montre que cette pratique de l’amour bienveillant pourrait être celle qui est la plus efficace pour augmenter la compassion (Boellinghaus, Jones et Hutton). En 2013, des chercheurs ont constaté que les participants à ce type de pratique déclarent expérimenter plus d’émotions positives et se sentent plus connectées socialement (Kok et Al). En 2014, une autre étude a constaté que six semaines de méditation et de formation à l’amour bienveillant diminuaient le parti implicite contre les minorités (Kang, Gray et Dovido).

Concrètement, comment cultiver l’amour bienveillant en pleine conscience

En décembre 2017 nous avons fêté, mon épouse et moi, nos noces de porcelaine. Cela a fait vingt ans que j’ai pris l’engagement d’aimer celle qui partage ma vie. Un chemin fait de sommets et de vallées que nous avons atteints et traversés ensemble, jusqu’ici. À l’heure où j’écris ces lignes, nous partageons notre amour et notre bonheur avec trois beaux enfants et un chat.

Nous avons tous deux placés l’éducation et la présence auprès de nos enfants comme principale priorité de notre vie de famille pendant près de quinze ans. Après nos sacrifices professionnels, nous nous construisons aujourd’hui des vies professionnelles passionnantes que nous cherchons encore à équilibrer avec les exigences familiales quotidiennes. Bien que, sur le papier, tout cela puisse paraitre très beau et idyllique, cela ne traduit pas du tout ce que cela signifie de vivre des relations avec amour, en pleine conscience.

La pratique de l’amour exige en effet de porter intentionnellement et honnêtement l’attention sur la connexion que nous ressentons avec ceux qui nous entourent au quotidien, par exemple dans l’intimité du foyer. C’est seulement après avoir reconnu l’état de notre connexion avec ceux qui nous côtoient dans la vie ordinaire que nous pouvons aspirer à approfondir cette relation aimante par petites touches. Je vais donc essayer de vous partager des exemples concrets pour cultiver l’amour bienveillant dans votre quotidien.

Voici des pratiques simples pour vous aider à accueillir vos relations plus consciemment et à cultiver l’amour bienveillant :

Comment vous sentez-vous relié ?

Prenez un moment aujourd’hui pour réfléchir aux types de relations que vous entretenez dans votre vie actuelle. Dessinez un premier cercle indiquant les personnes les plus proches de vous.

Comment nourrissez-vous les relations que vous avez avec les personnes dans ce cercle intime ? Que pouvez-vous faire pour vous sentir plus (re)lié à elles ? Qui pouvez-vous être pour elles afin de cultiver l’amour entre vous ?

Ensuite, dessinez des cercles concentriques à l’extérieur du premier cercle et écrivez les noms des personnes de votre famille et de vos amis. Réfléchissez à la fréquence à laquelle vous communiquez avec eux. Comment votre relation pourrait-elle être nourrie ? Existe-t-il des actes d’amour ou de bienveillance que vous pouvez exprimer aux personnes de ces cercles ?

Considérez les amitiés et les relations devenues lointaines. Souhaitez-vous les restaurer d’une manière ou d’une autre ? Souhaitez-vous vous relier à nouveau avec quelqu’un du passé ? Quelle est la nature de vos amitiés et de vos autres relations importantes ?

Prenez du temps pour réfléchir à vos relations vous permettra d’avoir l’occasion de méditer sur les personnes qui font ou ne font pas partie de vos vies et sur vos relations avec eux.

Cela permet une attitude d’ouverture, de douceur et de gentillesse avec celles et ceux qui appartiennent à vos cercles. Cela vous aide également à faire face à ce qui vous met mal à l’aise avec certaines personnes et à réfléchir à la manière dont vous pourriez manifester les valeurs de la pleine conscience et susciter la “guérison relationnelle”.

Pour intégrer cette réflexion, consulter régulièrement ces questions pendant quelques jours ou semaines.

Faites une pause lorsque ça chauffe…

Toute relation implique des moments difficiles, des malentendus, des disputes et des tensions. Cependant, si vous pouvez vous engager à faire une pause lorsque vous percevez la colère, l’irritabilité et l’agacement qui montent, vous vous comportez avec amour. Vous vous offrez le cadeau d’approfondir votre relation avec vous-mêmes et avec ceux que vous aimez. Rien ne sert d’essayer de communiquer sous le coup de la colère, mieux vaut prendre le temps de se calmer avant de discuter sereinement de ce qui échauffe l’esprit.

En prenant une profonde inspiration et en vous rapprochant de l’émotion et de sa manifestation physique, vous devenez capable de mettre plus facilement fin aux conflits relationnels. Et si la période est propice à la naissance de heurts avec certaines personnes que vous connaissez bien, vous pouvez même décider conjointement d’instaurer un signe verbal ou non-verbal pour demander une pause avant que les choses ne s’enveniment. C’est une pratique d’amour que de vouloir communiquer avec l’autre sur une base sereine.

Communiquez pour enrichir votre vie et celle des autres.

En faisant une pause et en pratiquant l’amour bienveillant et la compassion, vous prenez conscience de la nécessité de communiquer de manière à enrichir votre vie et celle des autres. Rappelez-vous que cela demande du temps et de la pratique.

Lorsque vous vous mettez en relation consciente avec ceux avec qui vous vivez et travaillez, vous prenez conscience de la façon dont vos automatismes vous bloquent et vous éloignent de votre objectif de communication consciente.

Pourtant, pratiquer un peu chaque jour, avec une grande bienveillance envers vous-même et autrui, peut vous aider à vous connecter à vos besoins réels et à la manière dont vous pouvez demander aux autres de les rencontrer, de manière enrichissante pour les deux parties. La relation devient ainsi une relation gagnante pour tout le monde, dans laquelle chacun des acteurs se place au même niveau que son interlocuteur, simplement conscient de ses propres zones d’ombre tout autant que de sa lumière intérieure.

Cultivez la bienveillance !

Dans les situations difficiles avec vos relations, la bienveillance – envers vous-même d’abord et les autres ensuite – peut vous aider à cultiver le non-jugement et l’acceptation envers les émotions difficiles que vous éprouvez.

Lorsque vous pouvez respirer profondément et vous rapprocher de l’émotion sans réagir à la situation problématique, vous commencez à pratiquer l’amour inconditionnel envers vous-mêmes et les autres.

Offrez-vous, ainsi qu’aux autres, l’espace intérieur pour vous connecter à votre propre sagesse et pour agir de façon intentionnelle et affectueuse.

La bienveillance peut être pratiquée de plusieurs façons dans nos relations. Pour cultiver la relation d’amour inconditionnel avec votre cercle d’êtres chers, vous pouvez méditer sur la bienveillance envers eux. Cette pratique peut ouvrir vos cœurs et vos esprits afin de voir ceux que vous aimez pour ce qu’ils sont et ce qu’ils éprouvent (au lieu de les voir pour ce que vous voudriez qu’ils soient). C’est un tel sentiment libérateur : voir vos proches de façon inconditionnelle, dans toute leur beauté et leur gloire.

Entretenez la compassion…

Dans vos relations, la compassion implique une compréhension profonde de l’autre personne et la pratique de l’acceptation non seulement pour ce qu’elle est, mais aussi pour là où elle se trouve dans sa vie.

Cela inclut également la pratique de la patience dans les moments difficiles que traversent vos relations afin d’être là pour elles et les aider à trouver en elles les ressources pour passer ces étapes difficiles.

Être juste là, dans l’accueil et l’écoute attentive, est un acte d’amour puissant.

Rester présent et disponible lorsque surgissent les faiblesses et fragilités de ceux que vous aimez, c’est pratiquer l’amour. Les accepter pour leur présence et leur expérience unique, cela peut vous aider à reconnaître et accueillir vos propres attentes et perceptions sur vos relations. Vous pouvez alors faire preuve de compassion envers vous-mêmes et vos propres émotions difficiles, ce qui vous permet de communiquer de façon plus authentique et de grandir dans la sincérité et la transparence bienveillantes avec vos relations.

En conclusion

Pour conclure, notons que la pratique consistant à amener de la pleine conscience et de l’attention sur nos relations est un processus à la fois lent et magnifique. Il peut certes nous causer beaucoup de frustrations et de confrontations avec nos egos mais, en fin de compte, il est important de se rappeler que notre intention d’amener dans la conscience dans nos relations provient de notre volonté d’y expérimenter l’amour bienveillant en abondance.

Et c’est sans aucun doute tout l’intérêt de la pratique régulière de la méditation pleine conscience à laquelle je vous invite.

 

Jean-Marc Terrel
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